Comment préparer sa forêt à affronter le réchauffement climatique? Quelles clefs pour transmettre, dans les meilleures conditions possibles, son patrimoine à ses enfants ? Quels risques le morcellement de la forêt fait peser sur les massifs ? Comme tant d’autres propriétaires forestiers, Paul Rollier s’interroge et agit. Nous sommes allés à sa rencontre, dans sa forêt de Haute-Loire, principalement peuplée de résineux en futaie irrégulière.
Avec passion et conviction, il évoque pour nous la responsabilité du propriétaire forestier non seulement face à ses ayants droits mais aussi face à sa forêt, ce patrimoine vert qu’il entend protéger tout en le valorisant.
Quelle est l’histoire de votre forêt et comment en êtes-vous devenu le propriétaire ?
J’ai reçu cette forêt de ma mère qui la détenait déjà de ses parents, et ceci sur plusieurs générations. Elle s’étendait alors sur 25 hectares sur les communes de Saint-Bonnet-le-Froid et de Saint-Julien-Molhesabate en Haute-Loire. Puis, mes parents ont acheté une ferme à proximité, nous y avons passé de nombreuses vacances. La gestion de la forêt était alors très artisanale ! Un ancien bûcheron voisin et ami était chargé de l’entretien et supervisait notamment les opérations de débardage avec sa paire de bœufs. Nous étions bien loin de la mécanisation actuelle. Enfin, il était très attaché à notre forêt, nous suivions ses conseils et il faisait les choses très bien même s’il avait une vision plutôt conservatrice de la forêt.
Au décès de mon père, mes frères et sœur et moi avons acquis la nue-propriété de ces bois et je me suis impliqué de manière plus forte dans leur gestion. La propriété avait été agrandie et couvrait alors une cinquantaine d’hectares. Nous avons aussi constitué un Groupement forestier afin de simplifier la transmission. Nous sommes devenus pleinement propriétaires en 2008, au décès de ma mère.
Par la suite le Groupement a acquis de nouvelles parcelles, jusqu’à porter la superficie totale de la forêt à 73 hectares, à cheval sur les communes de Saint-Bonnet-le-froid, Saint-Julien-Molhesabate et Montregard. Sur le plan économique, l’accroissement de ce patrimoine couplé à de bonnes méthodes de gestion permettent de sortir un rendement de 1,5% à 2%.
D’où vient votre attachement à celle-ci?
L’attachement à la région et à ce coin de France trouve sans doute ses racines dans les nombreuses vacances que nous y passions enfants.
Malgré une carrière professionnelle très prenante, mon père a souhaité que je m’occupe des bois dans les années 1980. Le bûcheron m’a initié : il me donnait des conseils, justifiait ses interventions. Avec lui j’ai fait mes premières classes !
Chaque année, nous réalisions un tour des parcelles afin d’identifier les travaux nécessaires. À ses côtés je me suis découvert une réelle fibre pour la gestion forestière et l’exploitation des bois. Cet homme passionné m’a énormément appris, et je me suis pris au jeu.
Au moment de la succession de mes parents, je me suis impliqué encore un peu plus. Je me suis documenté, j’ai suivi des formations Fogefor afin de mieux connaître le monde de la forêt, les interlocuteurs et parties prenantes etc. J’ai ajouté à la passion les connaissances techniques qu’il me manquait.
Avec la retraite professionnelle est venu le temps de l’engagement puisque je suis désormais au Conseil d’Administration de Fransylva 43, et j’ai récemment été élu conseiller départemental suppléant au CRPF Auvergne-Rhône-Alpes. C’est un rôle de représentation des propriétaires qui est passionnant !
Comme de nombreux propriétaires, je constate directement l’impact du réchauffement climatique sur nos forêts. Les épisodes de sécheresse, les faibles précipitations induisent un stress hydrique très important.
Comment organiser au mieux la transmission d’une forêt privée?
La transmission est évidemment très importante pour n’importe quel propriétaire attaché à sa forêt. À ce titre la constitution d’un Groupement forestier est une solution idéale. Il permet de diviser une forêt en parts égales, d’organiser le versement de dividendes et de maintenir la forêt dans la famille grâce aux clauses de préférences familiales en cas de cession de parts.
L’étape de la rédaction des statuts est très importante : il faut prévoir correctement les entrées et sorties des sociétaires. Chaque héritier a son propre parcours, la vie passe, les besoins des uns ne sont pas ceux des autres et ils peuvent évoluer au cours du temps. Dans notre Groupement forestier de Poulenon, ma sœur a souhaité vendre ses parts, et quelques années plus tard nous avons intégré des membres de la génération suivante avec une idée certaine de commencer dès que possible à impliquer mes enfants dans le suivi.
Car le seul véhicule juridique ne suffit pas ! Il faut évidemment intéresser ses enfants à la gestion forestière, les initier, avec patience et passion ! J’ai pris soin d’accoutumer, acculturer mes fils à la culture forestière et aujourd’hui j’ai la chance d’avoir des enfants qui partagent cette fibre et s’intéressent à cette forêt qui est la nôtre.
De manière pragmatique, le versement de dividendes réguliers aux sociétaires permet aussi de rendre concrète l’exploitation forestière et de manifester l’intérêt qu’il y a à le faire.
Quelles sont vos inquiétudes du point de vue du réchauffement climatique et de l’environnement ?
Comme de nombreux propriétaires, je constate directement l’impact des modifications climatiques sur nos forêts. Les épisodes de sécheresse, les plus faibles précipitations durant la période végétative induisent un stress hydrique très important. J’ai décidé de me saisir de cette question et l’année dernière j’ai fait intervenir le technicien du GPF et l’ingénieur et technicien du CNPF (Centre National de la Propriété Forestière) afin de préparer l’introduction de nouvelles essences pour accélérer et faciliter les adaptations probables qu’il faudra faire sur les 10 / 20 prochaines années. Nous avons donc rédigé un avenant au document de gestion, afin de mettre en place une dizaine de placettes couvrant 4000m2 en moyenne. L’objectif est de planter de nouvelles essences parmi lesquelles des mélèzes, des châtaigniers, des érables sycomores, des sapins de Bornmüller, ou encore des pins laricio de Corse.
Plus à l’ouest du département, certains propriétaires ont de réels soucis cynégétiques : la pression est telle que l’équilibre est rompu. La régénération qu’elle soit naturelle ou artificielle ne se fait plus correctement et même plus du tout. Ma forêt n’est pas encore touchée par cette problématique.
J’ai pris soin d’accoutumer, acculturer mes fils à la culture forestière et aujourd’hui j’ai la chance d’avoir des enfants qui partagent cette fibre et s’intéressent à cette forêt qui est la nôtre.
Pour quelles raisons avez-vous adhéré à la Coopérative ?
Notre adhésion est ancienne : une trentaine d’années ! Initialement c’est cet ami bûcheron qui nous a fait rejoindre la coopérative, sans doute car c’était un organisme local en qui nous pouvions avoir confiance. Pierre Celle était et est toujours notre technicien de secteur depuis de très nombreuses années !
Au moment de la succession de mes parents, nous avons décidé de faire réaliser un PSG afin de bénéficier de l’exonération fiscale Monichon. J’ai vite réalisé qu’un document de gestion durable était indispensable pour piloter les forêts au-delà d’une certaine taille. Naturellement nous avons confié la rédaction de ce PSG au GPF.
3 mots pour qualifier l’accompagnement du GPF ?
Disponibilité, compétence et connaissance du milieu forestier.
Un mot pour terminer ?
Le morcellement des parcelles est un enjeu de premier plan puisque faute d’avoir une taille suffisante de nombreux bois sont laissés à l’abandon. Ils semblent devenir la propriété de tout le monde. Non entretenus, ces bois en piteux état non seulement ne remplissent pas leur rôle de puits de carbone mais ils mettent aussi en danger les parcelles voisines (propagation des insectes ravageurs, incendies etc.)
Il est un autre sujet brûlant qui concerne l’ensemble de la filière : c’est la perception par le grand public du rôle de nos forêts. Certains de nos concitoyens partagent une vision idéaliste, une vision rêvée de la forêt. Selon eux, agir sur la forêt, l’exploiter par des coupes et des opérations de travaux nuirait à sa préservation et à son rôle climatique. C’est un contre-sens ! La forêt est un bien commun, qui apporte des choses à la société, mais elle appartient aussi à un propriétaire qu’il soit privé ou public. Ce n’est pas un bien public ! Elle doit être exploitée, entretenue, pour continuer à exercer son rôle face au réchauffement climatique. À ce titre la filière bois doit impérativement communiquer efficacement auprès du grand public pour délivrer une certaine culture forestière qui s’est perdue.
Last modified: 14 mai 2024